Pour la première fois, les éleveurs vont disposer en France d’une indexation du caractère « méthane ». En d’autres termes, il va devenir possible pour eux de prédire le potentiel génétique des génisses en matière d’émission de méthane, ce sous-produit de la digestion des aliments qu’elles consomment, et d’intégrer cette donnée dans les critères de sélection des reproducteurs au même titre que d’autres caractères. Dans les faits, il va certes falloir encore attendre un peu pour que cela prenne la forme d’une offre de routine dans le cadre des plans d’accouplement. Il s’agit dans un premier temps de transférer à la profession, les organismes et entreprises de sélection, l’indicateur prototype de prédiction mis au point par les chercheurs de l’unité mixte de recherche de Jouy-en-Josas (Eliance – Inrae et Institut de l’élevage). L’apparition de ce nouveau caractère de sélection n’en constitue pas moins une petite révolution. Il consacre la génétique comme l’un des leviers mobilisables, aux côtés des régimes alimentaires et de la conduite des systèmes d’élevage, pour parvenir à atteindre les objectifs du projet Méthane 2030 (1), soit réduire de 30 % les émissions de méthane des filières bovines en 10 ans et à cheptel constant.
« Moins de gaz en héritage » se demande la vache ? Cette question, ce sont bien sûr les chercheurs qui se la posent observant qu’en moyenne, quotidiennement, l’animal émet entre 400 et 500 grammes de méthane. Mais une moyenne, cela signifie que certains sujets en rejettent plus que d’autres et l’on estime aujourd’hui que la génétique conditionne environ 15 % de cette variabilité d’un sujet à l’autre. Certains animaux expriment une moindre méthanogénèse pérenne et indépendamment des changements d’alimentation, ce qui laisse penser à une prédisposition d’ordre génétique, par conséquent potentiellement héritable. Afin de générer un phénotypage à grande échelle des animaux dans le but d’identifier parmi eux les moindres producteurs de méthane, plusieurs centaines de vaches ont vu leurs rejets mesurés entre 2020 et 2024 (2). Mais capter le méthane exhalé des mufles n’est pas chose facile ! S’il préexistait bien des chambres respiratoires et aussi des masques à poser sur le museau des vaches, ce sont des auges munies de capteurs, en accès libre, des GreenFeed, qui ont été principalement mobilisées, les gaz expirés étant mesurés à chaque fois que les vaches y plongeaient la tête.
Des mesures répétées – une vache ruminant une vingtaine de fois par jour – sont nécessaires pour produire des données exploitables. Cependant, ces méthodes « renifleuses » directes n’étant pas suffisantes pour répondre aux besoins d’un phénotype à grande échelle, les chercheurs sont allés chercher les données de composition du lait de ces mêmes vaches, méthane et acide gras du lait étant issu de la même chaîne métabolique digestive. L’intensité des émissions de méthane peut être corrélée à la composition fine du lait… Or, ce type de données existent déjà à foison grâce à la spectrométrie infrarouge (spectres moyens infrarouge – MIR). Ces spectres MIR, collectés à grande échelle depuis plusieurs années par le contrôle de performances, standardisés, stockés, à faible coût, (environ 15 millions de spectres par an pour environ deux millions de vaches) servent déjà à évaluer la qualité du lait. C’est le croisement de toutes ces données, à la fois généalogiques, génomiques et spectrométriques, qui ont permis de développer les premières équations permettant d’aboutir à une valeur génétique pour les émissions de méthane.
Le fait que l’on puisse réduire les émissions des vaches laitières par la voie de la sélection et intégrer cela au titre d’un nouveau caractère est aujourd’hui démontré. Il est possible de considérer qu’il faille dix ans pour réduire de 10% les émissions de méthane à raison de 1% par an dans la mesure où les effets de variables (corrélations génétiques) avec les autres caractères d’intérêt (morphologie, production, fertilité, santé) sont peu défavorables. Car tout cela est aussi conditionné par le fait de devoir régler le poids de ce nouveau caractère dans les priorités de sélection relativement à ces autres caractères (index de synthèse ISU) « Il est nécessaire d’estimer les conséquences de la sélection actuelle sur les émissions de CH4 ainsi que les progrès génétiques des caractères actuellement en sélection pour réduire les émissions de méthane en grammes par joules de 1% par an », explique Solène Fresco, auteure d’une thèse sur les équations prédictives de méthane destinées à la sélection bovine au sein de l’unité mixte technologique « e-bis » à Jouy-en-Josas. Sélectionner pour obtenir une réduction directe des émissions est techniquement possible. Mais attention, le progrès génétique, c’est un jeu d’équilibre entre divers facteurs comme l’intensité de sélection, la précision de l’évaluation, les objectifs de sélection, les valeurs entre générations… « Une sélection des émissions de méthane ayant pour objectif -10 % en 10 ans ralentirait le progrès sur les autres caractères en sélection, notamment les caractères de production et de fertilité, temporise Solène Fresco, d’environ 35% pour le premier, et de 40% pour le second ».
L’ambition d’une diminution globale des émissions reste de long terme. La génétique reste l’un des leviers mais qui à lui seul ne permet pas d’atteindre les ambitions du plan Méthane 2030. Les recherches sur le facteur alimentaire, les rations et la digestibilité est un autre vecteur de recherches mais également la conduite d’élevage avec par exemple, la réduction des périodes improductives en travaillant sur la précocité et la longévité des animaux. Revoir le format des animaux, c’est-à-dire sélectionner des vaches plus petites, donc ingérant moins tout en restant productives est également une piste d’études préconisée.
(1) Méthane 2030 est une démarche collective française résultant d’un consortium réunissant l’Institut de l’élevage, l’Institut national de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae, quatre chambres d’agriculture, les interprofessions (Cniel, Interbev et France génétique élevage), la CNE et les fédérations nationales (Eliance et Races de France), dépositaires de nombreuses années de recherche sur le méthane entérique. Méthane 2030, ce sont plus de 11 millions d’euros de R&D sur 4 ans, dont 5,2 millions d’euros financés par FranceAgriMer au travers de Bpifrance et 3,5 millions d’euros financés par APIS-GENE.
(2) Programme MethaBreed (financement APIS-GENE)