Du son et pas d’image, du temps de parole et du temps d’écoute : et si le podcast était un peu le format idéal pour poser un discours qui s’affranchisse de la pression formelle des médias habituels, aussi bien dans leur forme journalistique traditionnelle que dans leur forme sociale et spontanée sur les réseaux ? Sophie Dias, ingénieure agronome, raconte ainsi cette double frustration, en quelque sorte, lorsqu’elle lance sa première saison d’enregistrements « Echos de ferme » en 2023, avec l’ambition de rassembler des témoignages d’agriculteurs et d’agricultrices aux prises avec les enjeux de leur métier et de leur avenir. La jeune femme n’était pas particulièrement destinée à l’art de l’interview et de la production audio mais trouvera rapidement un rythme et un bon réglage de médium, en quelque sorte, avec le son : « Lorsque j’ai commencé cette aventure, je me suis rendu compte que l’image rendait mal à l’aise mes personnages alors que l’audio avait cette vertu de permettre à la parole de mieux s’épanouir. Le fait de ne pas devoir paraître libère, en effet, mes interlocuteurs et les met plus en confiance. Cela sert la puissance du message que j’ambitionne de recueillir », explique Sophie Dias, qui cette année publie les épisodes d’une saison 2 de son podcast « Echos de ferme », sur Spotify et Deezer. D’autant que la jeune femme, agronome de formation, ne se retrouve pas non plus dans le traitement de l’information agricole par les grands médias qui selon elle passent trop souvent à côté de la complexité et de la nuance. « C’est bien la parole de ceux qui produisent, qui sont à la source de tout, et qui trop souvent laissent la parole à leur représentant de filière, qu’il m’importe de recueillir », précise-t-elle.
Le podcast est l’héritier numérique du reportage radiophonique dans la mesure où il est consommé de la même manière. C’est une chronique, un monologue, une interview, un reportage avec reprises, témoignages, design d’ambiance… Ce n’est plus le seul replay d’une émission radio comme lorsqu’il est apparu mais un genre à part entière, un média natif en quelque sorte, d’une grande souplesse d’accès pour qui souhaite se lancer dans l’aventure…
Car une aventure, cela en est une. Ce que ne démentirait pas Sophie Dias qui certes ne vit pas de son activité de podcasteuse mais éprouve tout de même la condition – pas de tout repos – de la production journalistique indépendante : trouver ses sujets, ses personnages, les convaincre, programmer un rendez-vous, se déplacer, interviewer, monter, publier, promouvoir… Et aussi résister à des propositions susceptibles de mettre à mal, de fait, une indépendance à laquelle la jeune femme tient par-dessus tout : « Je ne me contente pas de faire raconter à un éleveur comment il élève ses animaux, explique-t-elle, mon but est de contribuer au débat, de faire réagir, de laisser libre cours aux opinions. Mes podcasts sont autant la voix d’un écolobobo qui raconte sa reconversion dans la permaculture que celle d’un représentant de l’agriculture hyper-intensive. Je veux d’autant moins être étiquetée que j’ai même parfois eu à faire à des profils que tout opposait en apparence mais à qui je faisais découvrir qu’ils pouvaient être finalement d’accord ».

La jeune femme voit cette liberté comme la condition d’une certaine sincérité : « J’ai eu de très bons retour de la part de certains de ceux à qui j’ai donné la parole, j’ai vécu des complicités et des amitiés ». Tout cela, elle le raconte dans un… podcast publié au printemps 2024, le bilan d’une saison 1 où elle restitue son expérience de podcasteuse. Depuis, la jeune femme, micro en main, a élargi son cercle géographique en passant du Tarn-et-Garonne à l’ensemble de l’Occitanie.
Sophie Dias illustre un phénomène indéniable depuis une dizaine d’années : l’émancipation de la parole chez les acteurs du monde agricole. Un phénomène protéiforme servi par l’avènement de nouveaux supports techniques eux-mêmes générateurs de nouvelles modalités d’expression, plus directes, plus horizontales qui ne nécessitent plus d’en passer par les médiateurs traditionnels de la presse écrite ou audiovisuels. De nouveaux tiers de confiance tels que Sophie Dias mais aussi d’autres permettent à des agriculteurs, des éleveurs, de sortir du bois en quelques sortes en s’emparant des outils numériques dont ils sont contemporains. C’est le cas, par exemple, d’Etienne Fourmont, éleveur dans la Sarthe, avec ses vidéos « à déconstruire les idées reçues », devenu l’un des visages emblématiques des plateaux agris et au-delà. Dans un autre registre, Anne-Cécile Suzanne (lire en rubrique Entrevue), éleveuse dans l’Orne, se fait une place dans les émissions de débat où elle combat le grand malentendu entre société et agriculture. Elle est également autrice du livre « Les sillons que l’on trace ». Des agences de communication sur le segment agroalimentaire sont aussi nées de l’engagement d’agriculteurs pour la communication comme l’agence « les blacks moutons », spécialisée en marketing digital et création de contenus, avec notamment un média ciblant les jeunes agriculteurs : Sous le hangar.
Ces personnages sont l’incarnation d’une génération où prendre la parole n’est plus considéré comme une prise de risque inutile, contrairement à une inclination ayant été longtemps la marque de la société agricole, et cela parfois jusqu’à l’intérieur même des organisations qui les représentent. « Ce schéma de croyance selon lequel se montrer, c’était prendre le risque de « se faire taper dessus », s’observait encore il y a 7-8 ans. Il est resté longtemps ancré dans les esprits mais cela s’explique, analyse Véronique Spaletta, ingénieure en agriculture, fondatrice de l’agence Communicante en 2014, agence qui se positionne au cœur de la réflexion sur la transition et les nouveaux modèles agricoles et alimentaires. Les agriculteurs n’ont pas appris à entrer en interaction avec le monde extérieur en tant que chef d’entreprise, les structures d’approvisionnement et de collecte se chargeant le plus souvent de jouer les intermédiaires, en laissant de fait l’agriculteur isolé et en décalage avec l’image que l’industrie agroalimentaire se chargeait de construire vis-à-vis des consommateurs, explique Veronique Spaletta. L’agribashing a prospéré sur ce vide dès lors que les organisations professionnelles ont tardé, elles aussi, à investir la sphère de la communication ».
Si le monde agricole a radicalement changé de posture et conquis les outils, les canaux, les espaces d’expression, l’enjeu n’en reste pas moins entier dans un monde où une corporation ne peut plus interagir à sens unique avec le grand public en restant autocentrée sur sa seule parole. Certaines professions comme celle des éleveurs ont été parfois convoquées devant le tribunal de l’opinion ces dix dernières années et ont dû produire une argumentation à la hauteur de détracteurs souvent virulents et bien armés. L’expérience montre que l’état de crise ou de controverse pousse à reconsidérer l’acte de communication bien au-delà du simple plaidoyer pro domo. Transition environnementale et sociétale obligent, « celui qui communique n’est pas là pour simplement rétablir ses vérités. Il doit également être sensible à la légitimité des attentes de ses publics, explique Véronique Spaletta. Répondre à un public, c’est lui parler de ses enjeux à lui. Par conséquent, la première règle du communicant, c’est l’écoute. Ceux qui écoutent se mettent à portée de rencontres et d’interactions sincères. Ils se mettent en situation d’exploration et perception, ce qui est aussi une forme d’humilité et de responsabilité ». Depuis 2023, l’agence Communicante questionne ainsi la responsabilité de la communication dans la transition agricole, alimentaire, environnementale et sociétale, à travers une newsletter et un podcast. « L’objectif est d’inspirer et nourrir les réflexions des dirigeants et communicants de l’écosystème agricole et alimentaire », précise Véronique Spaletta.