Epigénétique : tous sous influence !

L’application des lois de la génétique s’est toujours heurtée à un problème et ce problème, c’est l’épigénétique… Car si l’on connaît le génome, sa carte, son programme, il reste en effet plus difficile d’appréhender quand, comment et pourquoi des gènes s’activent ou non, de telle façon ou de telle autre façon, avec telle ou telle intensité. Les généticiens aiment à parler d’interrupteurs épigénétiques lorsqu’ils désignent les marqueurs chimiques qui, en se fixant à l’ADN, ont pour fonction d’influencer le message des gènes. Cela n’est pas anormal, ces activateurs ou désactivateurs épigénétiques se mêlent de ce qui les regarde :  ils sont là pour garantir en somme l’adaptabilité du vivant à la variabilité de l’environnement et à la complexité des facteurs conditionnels extérieurs. « L’épigénome est influencé par de nombreux facteurs extérieurs : alimentation, stress, exposition à des substances chimiques… explique Chrystelle Le Danvic, ingénieure de recherche, co-animatrice du laboratoire Epsilon, un laboratoire partenarial Eliance-Inrae spécialisé en épigénétique des ruminants situé à Jouy-en-Josas. Ces modifications peuvent être réversibles et s’adapter aux conditions de vie. Elles permettent donc aux organismes de s’ajuster sans changer leur ADN offrant ainsi une incroyable souplesse biologique ».  

Ce jour-là, au Salon international de l’agriculture, la scientifique tient conférence et vulgarise la question devant un public non initié. Ce qui vaut pour les ruminants vaut pour tous les mammifères et tout le vivant. Si la chenille et le papillon ont un même ADN, ils constituent chacun un phénotype propre et cela, c’est l’épigénétique, ce qui se place « au-dessus » si l’on s’en tient à l’étymologie la plus simple de ce préfixe grec « epi ». Cet « épi », c’est aussi ce qui vaut à une même larve d’abeille de devenir une reine ou bien une ouvrière. Reine, parce qu’elle n’aura été nourrie que de gelée royale, ouvrière parce qu’elle aura consommé du pollen et du miel… Il en va d’un autre facteur « épi » pour le sexe des tortues : l’espèce ne peut se perpétuer qu’à la faveur d’une fenêtre de température située entre 28 et 30°, fenêtre garantissant un sexe ratio équilibré. Au-delà, il n’y aurait que des femelles, la chaleur favorisant les œstrogènes. En-deçà, il n’y aurait que des mâles. On comprend au passage que le réchauffement climatique menace donc directement l’avenir de l’espèce…  

Le génome n’est pas le reflet exclusif des individus dont les caractères sont influencés par l’environnement dans lequel ils évoluent. Photo Benoît Broust ©.

Cette sensibilité épigénétique est critique lors des phases de gestation et des premières semaines de vie. Chez les mammifères et notamment chez l’Homme, la spermatogénèse est exposée à des phénomènes de méthylation/déméthylation – la méthylation étant l’un de ces phénomènes « interrupteurs » dont il est question plus haut. Cela peut provoquer de l’infertilité. Les conditions qui entourent la vie de l’embryon ont nécessairement un impact sur le développement du sujet qui en sera issu. Les effets du stress post-traumatique chez les survivants du génocide rwandais ont ainsi été documentés. « 95 marques épigénétiques différentes entrainant la dérégulation des gènes liés aux troubles psychologiques ont été observées chez les survivants », explique Chris Hozé, ingénieure chez Eliance, des marques potentiellement transmissibles à la descendance avec de nombreux cas d’autisme notamment. De tels exemples sont légion. Dans tous les cas, des gènes auront vu leur mode d’expression modifié par un facteur logiciel en quelque sorte et non matériel. 

La destinée n’est pas nécessairement inscrite dans notre ADN affirmait déjà le magazine Time en 2010 en consacrant un dossier à l’épigénétique. Bien que connu depuis les années 1940, le concept d’épigénétique a pris réalité avec la mise en évidence de la méthylation de l’ADN dans les années 1970. Mais l’épigénétique ne bouscule réellement la chronique scientifique que depuis une vingtaine d’années. Elle relègue l’acquis et l’innée au rang des dualismes dépassés. Elle interroge par-delà la structure mendélienne et la sélection darwinienne les mécanismes complexes, aléatoires et horlogers des générations successives. Un organisme n’est pas un rouage pur ne se déroulant que de lui-même…  

Non seulement, notre destinée n’est pas inscrite dans notre ADN mais en outre nous ne sommes pas seuls. Nous abritons différents écosystèmes peuplés de bactéries commensales dont le rôle symbiotique peut être déterminant. Ce sont les microbiotes. Le plus connu est le microbiote intestinal, soit plusieurs milliards de bactéries dialoguant avec les cellules de l’hôte, et pas seulement digestives puisque chez l’Homme, des études ont démontré la connexion de ce micromonde (bactéries, virus, protozoaires, champignons…) avec les cellules nerveuses. La typologie de cette population bactérienne, extrêmement variée, peut également être associée à l’incidence de certaines expressions ou phénomènes. « Dis-moi quel est ton entérotype, je te dirai qui tu es » : peut-être, un jour, la formule fera-t-elle sens commun.  

L’épigénétique ouvre de nouvelles voies dans la compréhension des phénomènes moléculaires à l’œuvre dans la reproduction, la croissance, l’apparition de pathologies, etc., Leur décryptage est souvent au cœur de nombreux programmes de recherche visant à mieux prédire les effets de cette régulation génétique. On imagine dès lors les perspectives ouvertes par le champ immense de l’épigénétique, une galaxie de données croisées que les chercheurs imaginent transformer en autant de biomarqueurs de santé aussi bien pour les humains que les animaux.   

La sélection à l’heure de la puce d’épigénotypage

L’élevage n’est pas en reste en matière de recherches épigénétiques. Pour les éleveurs de bovins, il existe déjà sur le marché des biomarqueurs d’immunité et de longévité des vaches laitières. Ils sont tirés d’une analyse PCR effectuée, après extraction d’ADN, du microbiote fécal des génisses, un produit issu d’ailleurs de recherches initialement menées en santé humaine (1). La compétence immunitaire des bovins, dont on sait qu’elle dépend elle aussi d’un certain nombre de facteurs épigénétiques, est par exemple également au cœur d’un projet de recherche et développement visant à identifier les méthylations propres à chaque population cellulaire immunitaire (2). Depuis dix ans fonctionne également un laboratoire partagé entre l’Institut national de recherche pour l’agriculture (Inrae), l’alimentation et l’environnement et la fédération du conseil et service en élevage (Eliance), où sont menées des études sur l’épigénome du sperme aux fins de mieux comprendre les ressorts de la fertilité.   

En matière de sélection animale, la question est de savoir s’il est possible d’accéder à des prédictions basées non plus seulement sur l’estimation du potentiel génétique, ainsi qu’on le pratique communément grâce à la génomique, mais sur ce potentiel génétique tel que l’influencent d’autres données en provenance de l’animal et de la ferme. Nombre de ces données existent déjà issues du conseil et de l’évaluation des systèmes mais d’autres n’ont pas encore été produites. Ce qui pourrait changer rapidement néanmoins avec l’apparition, il y a quelques mois, d’une nouvelle puce à ADN : les puces sont ces petites lames de verre dotées de microsondes à ADN permettant une lecture des allèles et qui sont couramment utilisées depuis une dizaine d’années. Mais il s’agit cette fois d’une puce d’épigénotypage permettant l’identification des marques épigénétiques. Cette nouvelle puce d’épigénotypage, qui est une première mondiale, est en phase de validation technique et va connaître une phase d’utilisation scientifique avant de devenir un outil de sélection intégrés aux offres de conseil et service des organismes d’élevage. 

Cette première puce à ADN permettant d’analyser la méthylation de l’ADN chez les bovins est un condensé de recherche internationale produit par Eliance et l’Inrae, cette puce contient quelque 50 000 marques de méthylation impliquées dans la fertilité, la santé et la reproduction, obtenues soit à partir d’échantillons de gamètes mâles ou sanguins. Comprendre l’expression des gènes en fonction des conduites d’élevage et de l’environnement est un enjeu sans doute déterminant si l’on veut adapter l’élevage aux mutations en cours et à venir, au premier rang desquelles le changement climatique. Sa mise au point s’inscrit d’ailleurs dans le cadre du programme européen Rumigen (3) qui cherche à adapter la sélection aux effets des bouleversements environnementaux. Mais cela nécessite une collecte de données en matière de génétique, d’épigénétique, de phénotype et d’environnement dont la diversité et l’ampleur vont nécessiter d’en passer par les nouvelles technologies numériques comme l’intelligence artificielle. L’objectif est que les éleveurs grâce à de nouveaux modèles de trajectoire puissent régler in fine leur conduite d’élevage au plus près de ce qu’exprime l’épigénome des animaux.

L’épigénotypage ouvre avec lui une ère nouvelle de la biostatistique, au carrefour de la biologie et du numérique. De fait, parmi cinq projets lauréats en 2024 du programme de recherche agroécologie et numérique (France 2030), le projet « Agroécologie et agriculture numérique via l’épigénétique des animaux et des plantes » (Adaapt), porté par Inrae, travaille sur la nécessité de faire fusionner les compétences concernant les animaux d’élevage, les cultures, leur microbiote, la physiologie l’épigénétique, l’épigénomique et les technologies numériques. Treize laboratoires différents dont Epsilon (laboratoire partenarial Eliance/Inrae depuis 2022), l’institut agro, l’université d’Orléans, Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) forment consortium autour de cet objectif. 

Une puce à ADN destinée à isoler des marqueurs épigénétiques. Photo GD Biotech

  1. CowBiot®  Gènes Diffusion 
  1. programme BovEpiSign 
  2. 18 partenaires dont Inrae, Institut de l’élevage et Eliance.  
Facebook
Twitter
LinkedIn